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Le petit poucette

Publié le 7 Juin 2013 par Sallye

Le petit poucette

J'ai déniché des fossiles sous le tertre de mon jardin déguenillé.

L'un était bleu-violacé, comme une ecchymose et avait la forme d'un, vous savez, les sortes de bêtes répugnantes en pâte à sel que l'on offre à la fête des mères. C'était tout un petit monde au creux de la main, d'une massivité tellurique malgré sa difformité enfantine, il sentait bon la terre fraîchement foulée; c'était un poupin avec un visage de vieillard. De mes mains potelées je l'ai entouré d'une coque chaude et odorante, et je l'ai porté à ma bouche pour l'embrasser comme une gamine le fait avec son hamster de droit divin. Son toucher était tendrement rugueux, comme un gâteau de grand-mère avec trop de farine mais jamais assez de sucre, c'était délicieusement pâteux, comme la boule molle au fond de mon coeur moelleux.

Un autre me blessa l'auriculaire lorsque je l'arrachai du sol, contraint et dérangé. Le soleil râpait la peau de ma nuque. Je regardai le fossile. Pour le dire vulgairement, celui-là ressemblait à une merde de chien. Aux bijoux perdus d'un eunuque. Aux fruits pourris que l'on écrase sur le sol en automne. Tout ce qui était en lui représentait l'entière réfutation de la beauté et de l'émotion que m'avait apporté le précédent. C'était un assassin amer; sa difformité à lui n'avait pas de sens, pas de raison d'être, ses traits étaient saillants et étrangement réels, et une fente qui ressemblait à une bouche barrait toute sa largeur. "De ma saveur des bouillons des restes de la veille, j'éveille tes papilles ! Nul héros vertueux en mon sein, nul génie à l'haleine transcendante, nul romantisme baveux et infertile ! Je suis le miasme de l'ambition suante... Ha ! tout ça n'est évidemment qu'une malheureuse parodie. Heureusement que je suis là pour t'interroger sur ta leçon. L'as-tu même apprise? As-tu même acheté le livre?... Je ne suis pas un fossile ! Je suis bel et bien vivant. Tu le vois, puisque je te cause. " En soi il n'était pas si laid que ça; les sillons sur la pierre s'entrecroisaient dans des volutes algorithmiques horriblement complexes mais charmantes.

Je fus atrocement blessée de mon dépit. J'avais passé la journée au jardin, il était tard et le soleil déclinait déjà. Je tendais l'oreille pour entendre le cri de maman qui appelle au souper, mais soudain je me rappelai qu'elle n'était plus là. Ma jupe pleine de terre se soulevait comme une montgolfière sous la brise, et les insectes voyaient ma culotte. Les voiles sur la mer reflétaient les mouettes braillantes dans le ciel. Les oiseaux dont je n'ai jamais fait l'effort d'apprendre le foutu nom se mirent à chanter sur le Königue dere Thuleu d'un Zelter avec un accent français. La beauté simple me vint droit au coeur. Je rentrai à la maison l'esprit vide et le nez coulant, appréciant le frétillement granuleux de la terre et du sable entre mes orteils. Sur la table au milieu de la pièce trainait également un fossile : je ne l'avais jamais vu auparavant. Celui-là ne jasait pas ni ne souriait, il était silencieux. Il n'était ni beau, ni laid, il ne me donnait pas de leçons, à peine aurait-il pu. Il était simplement percé d'un trou en son milieu.

Le petit poucette
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